Homéopathie, Kézako?

L’homéopathie est une pratique médicale alternative qui tend à prescrire de petites pastilles de sucre aux patients. Ces pastilles contiennent de petites doses de produits actifs et sont sans effet secondaire. Les médicaments homéopathiques les plus célèbres en France sont produits par les laboratoires Boiron, et incluent Oscillococcinum, Arnica Montana, et Sédatif PC.

Ça c’est la sagesse populaire autour de l’homéopathie. Ce que très peu de gens savent, y compris parmi les partisans de la pratique, c’est l’origine, les fondements théoriques et les modes de préparation des médicaments homéopathiques.

Pour la faire courte, l’homéopathie est une pratique inventée par un médecin allemand qui prédate la découverte de l’origine des maladies par les germes par ce bon vieux Pasteur. Les grands principes théoriques posés par le créateur de l’homéopathie, le Docteur Samuel Hahnemann dans les années 1810, et toujours en cours à ma connaissance, sont les suivants :

  • Le principe de similitude : pour soigner un ensemble de symptômes, il faut utiliser une substance qui provoque les mêmes symptômes. Par exemple si vous êtes constipé, il faut utiliser pour soigner une substance qui provoque des constipations.
  • Le principe d’individualisation : chaque traitement doit être personnalisé pour le patient. Il faut établir un dialogue approfondi avec le patient, lister l’ensemble des symptômes rigoureusement, et trouver les substances qui provoquent chez le patient sain les mêmes symptômes que ceux observés chez le patient malade.
  • La dilution infinitésimale : une fois la substance provoquant les symptômes similaires établie, il faut la diluer. Plus elle est diluée, plus l’effet sera grand. À tel point que dans les médicaments homéopathiques, la substance est si diluée qu’il n’en reste rien, à peine la probabilité qu’il reste une molécule ou deux du produit actif utilisé. En même temps le produit actif utilisé dans l’Oscillococcinum est un mix de cœur et foie de Canard (en raison du principe de similitude)

Voilà pour l’historique et la théorie. Si les homéopathes en parlent peu, c’est que ces éléments ne jouent pas en leur faveur. Le principe de similitude participe plus d’une approche magique de la compréhension du corps que d’une approche scientifique, et la dilution infinitésimale vient de toute manière annihiler tout le produit si bien choisi par similitude et individualisation.

Tout ceci est absurde au plus haut point. C’est de la proto-médecine datant d’avant la révolution scientifique amenée par la théorie des germes, et ça aurait dû disparaître durant le XIXè siècle comme beaucoup d’autres pratiques de l’époque.

Que disent les utilisateurs ?

Face à l’incrédulité des scientifiques, et aux nombreuses études contrôlées rigoureusement qui montrent qu’il n’y a aucune indication thérapeutique où l’homéopathie fait mieux qu’un placebo (faire mieux qu’un placebo est justement ce qu’on attend d’un traitement, faire aussi bien prouve juste que le produit ne fait rien par lui-même), ce que disent les utilisateurs d’homéopathie est révélateur de nombreux biais cognitifs qui peuvent obscurcir notre jugement, dans ces circonstances comme dans d’autres.

Voici quelques exemples :

Commentaires sur un article du Progrès où Christian Boiron se dit victime d’un Ku Klux Klan contre l’homéopathie (journal local Lyonnais, région d’implantation des laboratoires Boiron) :

Pour les miens et moi, c’est efficace ! moins coûteux et pas d’effets secondaires , mais ne pas oublier que ce sont aussi des traitements médicaux et non des bonbons inoffensifs ! Les médecins qui en rient, laisser les rire ! c’est une preuve de leur largesse d’esprit , des hommes bornés , il y en a dans tous les domaines ! Il est plus rentable pour les médecins de prescrire certains médicaments, je peux le confirmer et même le jurer si nécessaire.

Ici on retrouve le thème central des défenseurs de l’homéopathie : “c’est efficace parce que ça marche sur moi, mes enfants, je l’ai observé de mes yeux vus.”

Dans ce même commentaire, on va trouver également une note de “ceux qui sont contre sont bornés” et une touche de théorie du complot à la fin : “les médecins prescrivent autre chose parce qu’ils y gagnent quelque-chose”…

certains medecins en rigolent ! c’est le cas du mien qui me dit çà ne vous soignera sans doute pas mais continuez çà ne risque pas de vous faire du mal.Perso j’y crois mais sans jamais avoir pu mesurer l’efficacité ! On dit que la croyance soigne plus que les médicaments ; c’est sans doute la cas avec l’homéopathie et en plus il n’y apas d’effets secondaires comme avec les médicaments allopathiques.

Ici c’est plus subtil, on voit une trace de doute, mais balayée par le credo. “J’y crois, et peut-être que c’est cette croyance qui me soigne, mais au moins je ne souffre pas d’effets secondaires.”

Sur un article de Top Santé sur l’art et la manière de bien prendre ses granules homéopathiques

[J’] Ai assisté à plusieurs guérisons sous homéopathie hommes et animaux pour ma part je suis aussi soignée par homéopathie et par allopathie me suis tournée vers l’homéopathie quand mon médecin a préconisé la chirurgie pour venir à bout de mon fibrome. Sans lui en parler j’ai suivi un traitement homéopathique pendant un an résultat au bout d’un an plus rien mon médecin était stupéfait morale de l’histoire ce dernier a entrepris des études d’homéopathie…il exerce maintenant selon les cas et les PATIENTS en allo ou en homeo

Ah, là on a un de mes arguments préférés : “Ça marche aussi sur les animaux, donc ça ne peut pas être un simple effet placebo.”. Suivi de l’histoire fabuleuse du médecin sceptique, qui prescrit un traitement invasif, et finalement il est subjugué par la réussite de l’homéopathie, et se convertit.

J’ai déjà entendu plein de variantes de cette histoire de conversion du méchant sceptique, mais en général dans un contexte plus religieux.

Biais

Le problème de ces expériences personnelles c’est que nous sommes de piètres observateurs de nous mêmes. Nous avons tendance à vouloir confirmer nos opinions, et à inconsciemment ignorer ou minimiser les faits qui vont à l’encontre de nos opinions, et au contraire à retenir ou sur-interpréter les éléments qui viennent confirmer ce que nous croyons vrai. On appelle ce phénomène le biais de la confirmation.

Par ailleurs, observer l’effet d’une substance censée prévenir une maladie comme la grippe sur un seul individu est une entreprise bien vaine. Si vous prenez un remède qui prévient la grippe et que vous n’attrapez pas la grippe, est-ce grâce au remède ou bien tout autre chose, comme le fait que vous n’avez pas été exposé au virus du tout ? Impossible de le dire sur un seul individu, même s’il était un observateur rigoureux et non biaisé. Attribuer le succès au remède ici serait commettre l’erreur logique appelée post hoc ergo propter hoc.

post hoc ergo propter hoc

Quand au placebo qui ne pourrait marcher sur les animaux, c’est faire beaucoup de mépris aux animaux que de les imaginer complètement dépourvu de cervelle et d’émotions, incapables d’être sensibles au fait qu’on s’occupe d’eux, qu’on tente manifestement de leur apporter un réconfort.

De plus, c’est mal comprendre un des aspects de l’effet placebo, qui est lié au fait que c’est le patient ou son observateur dans le cas des animaux qui va déclarer que l’animal va mieux ou moins bien suite au traitement. Par le biais de la confirmation, celui qui traite son cheval par homépathie va interpréter tout signe favorable comme une confirmation que son soin et son approche sont valides.

Double aveugle

C’est justement pour lutter contre les biais cognitifs qui interviennent chez les patients comme le personnel soignant les observants que les études les plus rigoureuses utilisent un système de contrôle en double aveugle.

On utilise deux groupes d’observés : l’un d’entre eux prendra le traitement testé, l’autre prendra un produit inerte, pour comparer.

Les personnes observées ne savent pas si elles ont pris le produit testé ou le placebo.

Et les personnes qui les observent et évaluent leur évolution ne le savent pas non plus !

Les deux sont aveugles, pour éviter tout biais de confirmation.

Et c’est précisément quand ces conditions rigoureuses sont utilisées que les performances de l’homéopathie disparaissent, ce qui n’a rien d’étonnant quand on en revient à la base de ce qu’est l’homéopathie.

Si l’homéopathie fonctionnait, c’est toute notre compréhension de la chimie et de la médecine qui serait remise en question. Tout comme si la théorie de l’évolution n’était pas vraie, plus rien n’aurait de sens dans le domaine de la biologie.

Nos observations ne sont que des anectodes

C’est là une sagesse sceptique qui est parfois difficile à faire sienne. Ce que nous observons est teinté par ce que nous croyons. Ce dont nous nous souvenons avec une grande certitude est une reconstruction, très souvent erronée. Ces biais sont connus depuis longtemps, et les méthodes pour les contrecarrer au mieux sont rôdées.

Quand elles sont appliquées, certaines de nos convictions peuvent se fracasser sur les résultats d’une expérience. Il faut alloir avoir la force de se dire qu’on a eu tort. Que ce qu’on croyait dur comme fer était une illusion. Qu’on a peut être consacré sa vie, sa carrière, à un mirage. Que nos détracteurs avaient raison.

Traitement de faveur

Ce courage, cette honnêteté intellectuelle, peu de gens l’ont. Les marchands de pseudo-médicaments ne l’ont certainement pas.

Pour opérer, ils utilisent un autre ensemble de règles que celles qui régissent la médecine scientifique. Par exemple en France, un médicament fait l’objet de tests cliniques avant d’être mis sur le marché. Mais il y a une exception pour l’homéopathie.

Extrait du site officiel du gourvenement sante.gouv.fr

La thérapeutique classique ou allopathie repose sur la prescription de médicaments ayant fait la preuve de leur efficacité par des essais cliniques dans les indications considérées. En revanche, à ce jour, l’utilisation des médicaments homéopathiques ne s’appuie par sur de tels essais cliniques, c’est-à-dire sur la médecine basée sur les preuves, mais sur la notion d’usage traditionnel.

Un usage traditionnel suffit. Les traditions n’ont pas besoin de faire la preuve de leur bien fondé…

Tout ce qu’un médicament homéopathique a à prouver pour être mis sur le marché, c’est qu’il n’est pas dangereux. En ne contenant aucune substance active, ce n’est pas bien difficile.

Ce traitement de faveur remonte aux années 1940, et s’est élargi au niveau européen depuis.

Sans volonté politique forte, l’homéopathie restera ainsi une pratique pseudo-scientifique ayant légalement une charge de preuve d’efficacité inexistante. Après tout, quel ministre de la santé voudra faire des vagues là-dessus. Il n’y a aucun danger, n’est-ce pas ?

Aucun danger ?

Les traitements homéopathiques ne présentent aucun danger, et c’est tout ce qui importe aux yeux de la loi taillée pour eux.

Pourtant la pratique en elle-même présente des dangers. Elle peut en effet décourager ou retarder la pratique de soins quand un patient en a besoin. De plus en s’officialisant, elle légitime d’autres pratiques pseudo-scientifiques comme l’accuponcture, le reiki, l’aromathérapie, et j’en passe.

Christian Boiron peut bien crier au complot contre l’homéopathie, le fait est que cette pratique est incapable de se justifier par la voie scientifique, et qu’elle repose uniquement sur les biais cognitifs de ses praticiens et utilisateurs, et des dispositifs légaux très favorables.