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Manif pour tous, arguments 6 à 8

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Voici la seconde partie de mon analyse des arguments du mouvement “La Manif pour tous”. Ces arguments sont présentés sur leur site web.

Beaucoup de partisans du projet de loi objectent que toute adoption est fondée sur la dissociation entre la filiation et l’éducation. En réalité, celle-ci est une réponse à une situation de détresse dans laquelle un enfant ne peut pas être accueilli et éduqué par ceux qui lui ont donné la vie. Son identité profonde est précisément d’être une réparation à l’égard d’un tort subi par l’enfant, que les aléas de la vie, comme la mort, la séparation ou la misère, ont privé de ses deux parents, et non de répondre à un quelconque droit des couples. L’adoption dans un couple marié a précisément cet avantage qu’elle offre une similitude symbolique avec le couple qui a donné naissance à l’enfant. L’adoption, c’est fait pour trouver une famille à un enfant et non pour trouver un enfant à des adultes, homosexuels ou hétérosexuels !

Cet argument n’est pour une fois pas trop alambiqué. L’adoption existe pour le bien des enfants qui en ont besoin, et pas pour assurer un “droit” aux adultes d’avoir des enfants par ce biais là. Admettons. Mais pourquoi un couple homosexuel ne pourrait pas adopter un enfant qui se retrouve privé de ses parents biologiques, me direz vous ? Si je comprends bien cet argument, c’est parce que seul un couple hétérosexuel « offre une similitude symbolique avec le couple qui a donné naissance à l’enfant ». Pourquoi faut-il que les parents adoptifs ressemblent “symboliquement” aux parents naturels ? Quel degré de “ressemblance symbolique” est nécessaire ? Est-ce qu’un couple de blancs offre une “similitude symbolique” suffisante pour adopter un enfant ethniquement différent ? Ou bien est-ce simplement une question de genre ? Il faut à tout prix un juste équilibre de masculin et féminin ? Que ce passera-t-il d’affreux sinon ? Il me semble là qu’il n’y a pas vraiment d’argument rationel, mais une simple assertion.

Il y a une équivoque lorsque l’on parle de « parents ». La parenté est le concept le mieux connu et le plus couramment utilisé. Il renvoie à une filiation sociale qui coïncide avec la filiation biologique ou qui pallie l’absence de reconnaissance de cette filiation biologique par l’adoption plénière dans un couple de deux personnes de sexe différent, qui, symboliquement et analogiquement renvoient à la filiation dont l’enfant a été privé. La parentalité est un néologisme qui date de la fin des années 1990. Il renvoie au fait d’être parent dans ses aspects juridiques, politiques, socio-économiques, culturels et institutionnels. Ce terme est concomitant de celui de père ou de mère « sociaux » et a émergé dans le double contexte de l’explosion des familles recomposées et de l’apparition de familles homoparentales. Avec l’adoption plénière, le projet actuel ne vise donc pas à améliorer l’exercice de la parentalité dans les cas existants mais à supprimer la notion de parenté au profit de la parentalité pour tous les couples : chaque acception du mot parent dans le code civil sera désormais fondé sur la notion de parentalité.

On retombe dans de l’argument tarabiscoté. Si je comprends bien, on reproche ici au texte Taubira de mettre sur un pied d’égalité en tant que parents tous les adultes qui élèvent des enfants. Comme disait mon professeur de sciences sociales, « et alors ? ».
Je qualifierais celui-ci de non sequitur. L’argument présenté et sa conclusion ne s’enchaînent tout simplement pas logiquement.

La théorie du gender est née aux États-Unis à la fin des années 1980. Elle postule la supériorité du « genre », construit par la société et librement accepté ou refusé par le sujet, sur le sexe, fruit d’une biologie toujours arbitraire. Loin d’être un simple outil d’analyse, l’idéologie du gender constitue un véritable système où il s’agit d’asexuer le réel, qui nous cantonnerait dans des rôles stables qui sont des déterminismes, pour laisser place à la liberté du choix et des recompositions du genre. Désormais, il serait donc impossible de considérer que l’altérité homme-femme a un fondement irréductible, que les rôles de père et de mère sont liés à la masculinité ou à la féminité. Tout est interchangeable et c’est là l’objet de cette prétendue libération. Le projet de loi Taubira s’inscrit profondément dans cette théorie pour le moins destructrice et la ministre l’a montré clairement lors des débats à l’Assemblée, en proclamant son but : « arracher les enfants au déterminisme de la famille ».

C’est rigolo de nommer ainsi la théorie du genre, en laissant le mot “gender” en anglais, comme pour insister subtilement sur le fait que cette théorie vient de l’étranger. La première chose dite à propos de cette théorie est qu’elle est née aux États-Unis. C’est vrai, mais très ironique quand on sait à quel point le débat théorique américain des années 1970 était influencé par un grand nombre d’auteurs français, comme Jacques Derrida, Gilles Deleuze, Michel Foucault, Jacques Lacan ou encore Jean-François Lyotard. Passons.

En quoi la théorie du genre est destructrice ? Encore une fois, simple assertion.

Dans tout les cas, cette présentation est volontairement simpliste. Regardez ces idéologues du “gender” qui veulent enseigner à nos enfants que la masculinité et la féminité ne découlent pas naturellement de la présence de testicules ou d’ovaires dans leur corps. Ils vont leur faire de nœuds au cerveau. Un papa masculin, une maman féminine, voilà ce qu’il leur faut.

Quel est le rapport avec le mariage pour tous, au final ? Il est ténu, mais la théorie du genre, ça fait peur, et donc si mariage pour tous = théorie du genre, il faut avoir peur du mariage pour tous.

Les études si souvent citées à l’appui de telle ou telle prise de position doivent systématiquement être regardées avec recul : questions posées, échantillons choisis, personnes choisies pour mener l’enquête, commanditaires… Actuellement, une grande partie des études accessibles est menée dans une fin de justification de l’homoparentalité. Ce sont souvent des associations LGBT qui les commandent. De l’autre côté, une étude comme celle de Mark Regnerus, qui n’échappe sans doute pas à certaines critiques, a été menée sur des échantillons plus larges et sur un temps plus long, dans une perspective avant tout universitaire. Quand des voix se sont élevées pour signaler des maladresses, Regnerus a consenti à certaines précisions… sans changer le résultat : ce n’est pas identique pour un enfant d’être élevé par un couple de sexes différents ou par un couple de même sexe.

Apparemment l’étude de Regnerus est la plus solide du côté des opposants à l’homoparentalité, puisque c’est celle qui est citée ici. Il s’avère qu’elle « n’échappe sans doute pas à certaines critiques », comme il est concédé ici. L’étude en question est en réalité pourrie jusqu’à l’os, en raison d’un échantillonage très étrange. En effet, la question 7 du questionnaire demande aux personnes participant à l’étude si au cours des 18 premières années de leur vie, un de leur parents a eu au moins une relation romantique avec une personne du même sexe. Si la réponse est oui, bam, vous êtes en enfant élevé par un couple homosexuel, d’après cette étude. Et hop, vous sortez du groupe “papa et maman”.

Et quel large échantillon : 253 personnes ont répondu oui à la question 7, et parmi eux, seuls 42% ont dit avoir vécu avec un père homo et son partenaire plus de 4 mois, moins de 2% ont dit avoir vécu avec un père homo et son partenaire plus de 3 ans. Moins de 2% parmi ces 253 personnes (soit 2 ou 3 personnes) ont déclaré avoir vécu toute leur enfance avec leur mère lesbienne et ça partenaire. Un tel échantillon est trop petit pour avoir le moindre sens.

Qu’une étude aussi mal ficelée soit citée par les opposants au mariage homosexuel montre qu’ils n’ont rien de mieux dans leurs tiroirs. Tenter d’invoquer une équivalence entre études penchant d’un côté ou de l’autre est tout simplement fallacieux, si la meilleure étude dont on dispose de son côté est défaillante.

En conclusion, s’ils sont moins franchement homophobes que les arguments vu dans le billet précédent, les arguments 6 à 8 sont très fallacieux. Simple assertion, non sequitur, appel à l’émotion (de peur, évidemment), et enfin fausse équivalence.

Les arguments 9 à 12, ça sera pour la prochaine fois.